vendredi 29 mars 2013

Une bien triste fin

Il existe sur la rue Ontario, un peu en retrait de la rue Moreau, un bâtiment industriel en béton peint en blanc. Vous l'avez sûrement appercu en roulant dans ce coin-là mais histoire de bien le situer je vous le montre à l'aide de ces deux photos, l'une aérienne et l'autre au sol.



On remonte en arrière. Le 9 septembre 1940 sur l'heure du midi, plus précisément. A cette époque le bâtiment appartenait à la Manufacturers Terminal Co. mais louait des espaces à d'autres comme GD Peters & Co. of Canada, Marvens Ltd, AG Snowdon, John Labatt Ltd, les vins Jordan et National Conduits Co. Ltd. Les différents espaces servaient fort probablement à de l'entreposage à court terme alors le va et vient était constant. Ça devait grouiller, comme on dit.

Au travers tout ça il y avait un p'tit gars de 14 ans, Thomas Gauthier. Thomas n'habitait pas très loin, au 2043 Moreau soit tout juste un peu plus haut et travaillait pour Le restaurant du Coin situé au coin de Moreau et Ontario, tout juste en face du bâtiment industriel. Thomas allait à l'école mais sur l'heure du dîner Il livrait des repas et menus articles aux employés des différentes compagnies qui se trouvaient dans le bâtiment.

Pour aller sur les différents étages et livrer les commandes, Thomas empruntait une sorte de monte-charge relativement rudimentaire. Certains modèles étaient pourvus d'une barrière protectrice en bois, comme les Turnbull, mais pas celui-là. Fallait donc faire gaffe. Les normes de sûreté industrielles du temps, s'il faut le rappeler, n'étaient pas trop encombrantes. 

Thomas se trouvait au dernier étage et venait de terminer une commission quand il s'est précipité vers le monte-charge pour redescendre mais malheureusement pour lui le monte-charge n'était pas là et Thomas chuta pour s'écraser quelques quarante pieds plus bas. La mort fut instantanée.

On appela immédiatement une ambulance qui arriva rapidement de l'hôpital Notre-Dame mais on ne put évidemment que constater la mort du jeune homme. Pendant ce temps c'est Jean-Paul, le frère de Thomas qui entra dans la cuisine familiale pour annoncer la mauvaise nouvelle à sa mère. On ne peut que s'imaginer le désarroi de la scène, celle que tout parent redoute le plus au monde.


Le corps de Thomas fut transporté à la morgue où le coroner Duckett rendit un verdict de mort accidentelle. Son histoire nous est bien connue puisque Thomas faisait partie de la famille. Son frère cadet de quelques années, Édouard, encore bien portant pour ses 84 ans, se souvient de cette tragédie comme si c'était hier. Toutefois, et comme c'est souvent le cas, cette tragédie en engendra d'autres. Marie-Jeanne, a mère de Thomas, était enceinte lorsqu'elle apprit la nouvelle du décès accidentel de Thomas. Elle donna naissance à son enfant pour ensuite disparaître complètement sans laisser de traces. Ce n'est que bien des années plus tard qu'un membre de la famille crût la reconnaître sur le coin d'une rue, visiblement itinérante. Elle ne fut plus revue par la suite. Le père de Thomas quant à lui, ne pouvant s'occuper de tous ses enfants, ne garda avec lui que les plus vieux et dût se résoudre à placer les plus jeunes dans des orphelinats. Ceux-ci ont grandi sans aucune connaissance de leur véritable famille sans non plus savoir qu'ils avaient des frères ailleurs.


Thomas fut le deuxième décès accidentel en un peu plus de dix ans dans la famille. En effet, en 1927 ce fut Adrien Gauthier, cousin de mon grand-père, qui périt dans l'incendie du Laurier Palace à l'âge de dix ans.

  Sur cette photo on voit Jean-Paul Gauthier dans les bras de sa mère Marie-Jeanne. Devant elle à gauche en culottes courtes noires se trouve Thomas et à droite son frère cadet Édouard.
 
  On voit ici Thomas vers l'âge de cinq ans, arborant fièrement une casquette blanche. Son frère Édouard est à ses côtés sur la chaise. Au moment où la photo a été prise la crise économique battait son plein.

mercredi 27 mars 2013

dejectionis


Détail d’une statue en pierre artificielle d’ange surmontant une pierre tombale au cimetière Notre-dame-des-Neiges. Bien que la tradition chrétienne veut que les nages soient asexués, plusieurs, dont celui-ci, sont représentés avec des traits et formes féminines. D’ici une vingtaine d’années les détails de cette sculpture-ci seront de plus en plus estompés. Il fut toutefois intéressant de noter qu’à travers les interstices il se trouvait tout un petit monde entomologique et botanique; fourmis, blattes, coccinelles, lichen et mousses qui cohabitait parfaitement. Comme le disait Félix Leclerc, la mort, y’a plein de vie là-dedans.


Saviez-vous ça vous autres? En 1899 le président Français Félix Faure, ben y’é mort d’une crise cardiaque drette dans son bureau. Pas mort en devoir le bonhomme. Nénon. Y'était en train de s'afaire faire une fellation par sa maîtresse Marguerite Steinheil. Pauvre fille, savez-vous comment on l’a appelé après ça? La pompe funèbre.Oy!

dimanche 24 mars 2013

optimarum artium


Au hasard d’une promenade il y a bien sept ou huit ans de ça, alors que je commençais à me retremper dans la photo. Vous l’avez peut-être reconnu; c’est l’ancienne École des Beaux-arts sur Sherbrooke, entre St-Urbain et Ste-Famille. C’est du côté nord, tout juste en face de cet édifice truc-machin tout en verre qui ne fitte pas dans le décor. Enfin.

Donc, l’édifice ici a été construit en 1922 selon les plans de l’architecte Jean-Omer Marchand à qui l’on doit tout plein d’autres beaux bâtiments dont l’église St-Pierre-Claver sur St-Joseph et dont je vous ai causé il y a un temps. L'École des Beaux-arts a rejoint l’Université du Québec à Montréal en 1969 mais j’ai aussi le souvenir qu’on y a logé temporairement une partie des archives nationales durant les années 80.


Saviez-vous ça vous autres? Parmi les professeurs célèbres qui y ont enseigné on retrouve Frédéric Back, François-Marc Gagnon, Alfred Laliberté pis Alfred Pellan. Des étudiants tout aussi célèbres? Pensez donc Pierre Ayot, Marcel Baril, Paul-Émile Borduas, Pierre Gauvreau, Claude Jasmin, Jean-Paul Lemieux pis Tex Lecor (yep, celui des insolences pis d’la chanson du frigidaire).

vendredi 22 mars 2013

Dans l'temps du Yul

Si je dis Yulblog il s'en trouve plusieurs qui vont savoir de quoi je parle et qui vont se rappeler de bons souvenirs alors que d'autres ne sauront probablement pas de quoi je parle. Un peu d'histoire, tout de même.

Il y a de cela un certain nombre d'années les blogues étaient assez populaires (pas comme aujourd'hui, ho ho). C'était l'affaire «in» que d'avoir un blogue sur [insérer le sujet ici]. Y'en avait de tous les genres et pas mal pour tous les goûts. Et puis un jour comme ça on s'est mit à organiser des rencontres entre blogueurs et blogueuses. Ça se passait généralement les mercredis soirs (pourquoi les mercredis soirs ça reste encore nébuleux) au bar La Quincaillerie, sur Rachel. Le nom Yulblog vient des lettres YUL qui identifient l'aéroport PET selon la liste des codes AITA des aéroports. Affluence variable mais toujours agréable, comme les rencontres. On se rencontrait entre blogueurs et blogueuses mais il s'en trouvait aussi qui ne bloguaient pas et venaient pour échanger. Avec le temps y'a plusieurs blogues ont disparu, certains se sont mis sur le bord du chemin avec leurs quatre «flashers» alors que d'autres ont continué à persister et à signer, même qu'ils ont signé des livres.

Yulblog, en février 2007. Je suis en bas à droite la tête tournée en train de jaser avec Dominic Arpin. Devant moi y'a l'ami François et Nathalie. (Photo: Vanou)

 Tous en rond à discuter. Ici je papote avec la Mère Indigne (manteau rouge) alors que François et Nathalie écoutent mes niaiseries. (Photo: Vanou)

 Devant la Quincaillerie de droite à gauche, ma fille Val, moi, ainsi que la sémillante Debbie. (Photo: l'ami Max)

Et pour s'amuser un peu, voici une p'tite bédé (parfaitement fictive!) que j'ai fignolé il y a quelques années. Pas exactement crayonné sur le meilleur papier parce que c'était des ébauches et en plus j'avais foutu les dessins comme ça dans le fond d'une boîte alors forcément la mine a beurré un peu. Clin d’œil aux autres amis Carl et Daniel.  













 

 
Saviez-vous ça vous autres? On y allait nous autres au Yul pis on trouvait ça ben l’fun jusqu’à temps que la Quincaillerie nous dise de pu revenir. Quelque chose qui avait à voir avec le fait qu’on pouvait voir en-dessous des jupettes sans même se forcer. Coudonc, y checkaient pas les toilettes en-arrière une fois l’temps?



lundi 18 mars 2013

Toutes les entrées mènent à Jellystone

Vous n’êtes pas sans savoir que Yogi l’ours habite le parc de Jellystone, sinon j’ai pitié pour vous. Il s’agit évidemment d’une pastiche du fameux parc de Yellowstone. Y’a un truc que je trouve assez intéressant cependant; le parc de Jellystone ne comportait pas une mais bien plusieurs entrées. Vous allez me dire que c’est probablement normal pour un parc aussi grand (enfin, on assume qu’il l’est) ou que le parc a pas mal d'argent pour les faire construire. Verra t-on le gardien-chef dans une certaine commission?

Bon, trêve de plaisanterie. Ce qui me turlupine ici c’est que les studios Hanna-Barbera aimaient bien sauver des sous lorsqu’ils réalisaient leurs dessins-animés, c’est pour cela qu’on réutilisait assez souvent des séquences d’animation où que l’on ne se contentait d’animer que les parties de personnages nécessaires. Comme ça on n’avait pas besoin de payer des artistes à les refaire à nouveau mais dans le cas du parc de notre gourmand plantigrade on dirait qu’il y a exception puisque l’on ne s’est pas gêné pour barbouiller tout un tas d’entrées de parc différentes. Admirez donc…


























Saviez-vous ça vous autres? Si les maniérismes de Yogi ont été calqués sur le personnage d'Ed Norton dans The Honeymooners, ben le nom du personnage vient du joueur de baseball Yogi Berra (quoi qu’on se demande quelle sorte de mère appelle son enfant Yogi. Entéka). Pis la première fois que Yogi est passé à la télé c’est en 1961 dans The Yogi Bear Show avec l'épisode Pie Pirates, commandité par Kellogg's (Corn Flakes).


mercredi 13 mars 2013

Repos, puces et mathématicienne grecque

Comme lorsque l'on est aux prises avec une grippe rien de mieux qu'une bonne entorse lombaire pour se calmer le pompon. La mobilité ainsi fortement réduite exige donc un passe-temps approprié, comme la lecture par exemple.

Ainsi, ces derniers jours, j'ai opté pour un bouquin déniché l'été passé dans un coin discret du marché aux puces où se trouve ce petit kiosque, tout à fait minuscule, tenu par une petite dame d'un certain âge qui s'y trouve encore aujourd'hui. Elle me rappelle cette autre dame, toute aussi menue, qui occupait le même endroit il y a quelques années à la différence que celle-ci ne vend pas des disques à pleines boîtes. Elle tient plutôt une sorte de mini capharnäum ou s'entassent des objets hétéroclites; des tasses, des verres, des boîtes de métal, petits pots à biscuits en céramique et plein d'autres objets qu'il me serait trop long d'énumérer ici. Il y a plus longtemps encore j'y avais trouvé, bien caché, un petit livre de Victor Hugo avec une couverture en cuir. Édité à Paris en 1903 et dans une condition tout à fait remarquable, la petite dame ne m'en avait demandé que cinquante sous. Depuis ce temps je prend toujours le temps de bien regarder ce qu'elle a à offrir. Sait-on jamais, que je me dis toujours. 

Et c'est précisément ce que j'ai fais cette journée-là alors que je venais de terminer ma tournée. Mes yeux se promenaient, passant rapidement d'un objet à l'autre et je l'ai apperçu, là, coinçé entre une boîte d'arachides Planters en métal et un porte-brosse à dents Scooby Doo. D'aspect vieillot, le vieux bouquin a attiré mon regard. 


Pour avoir oeuvré, dans une autre vie, en imprimerie je savais que ce bouquin devait avoir près d'une centaine d'années. Au moins. Je l'ai pris avec toute cette précaution que l'on doit avoir avec les vieux livres de ce genre, puis je l'ai ouvert, curieux du sujet. Il s'agissait d'un livre en anglais, écrit par un certain Charles Kingsley et portant sur la vie d'Hypatie d'Alexandrie. Le livre a été écrit en 1852 mais la copie entre mes mains a été éditée en 1890.

Il arrive trop souvent, malheureusement, que de vieux volumes, aussi intéressant puisse t-ils être, sont endommagés par l'humidité, signe qu'ils n'ont pas été conservés dans des conditions adéquates mais celui-ci, malgré son âge, se trouvait dans une condition très respectable. Il sentait le vieux, assurément, mais pas cette odeur de mouillure désagréable. La reliure en bonne condition et les pages encore solidement en place. Pas d'annotations ici et là, comme ça arrive parfois. J'ai risqué un oeil vers la dame qui était assise sur sa petite chaise à l'entrée de son minuscule kiosque. Avant même que je puisse lui demander combien elle voulait pour le livre elle m'a regardé et m'a fait signe «un» de l'index tout en formant silencieusement le mot avec sa bouche. Du coup j'ai cru qu'elle voulait me dire: un instant. Non, elle ne voulait vraiment qu'un seul et misérable dollar. Même pas le prix d'un café. Même un café tout à fait médiocre. Il m'aurait été bien difficile de refuser une telle offre même si j'avais cette nette impression que je lui volais carrément le livre. Elle me l'a ensuite soigneusement emballé dans un papier de soie pour ensuite me le remettre.

Le nom d'Hypatie m'était familier. Je l'ai connu pour la première fois dans un autre livre: Cosmos, de Carl Sagan. Dans un chapître intitulé Qui plaide pour la Terre (page 427). Sagan y décrit Hypatie comme étant une femme d'Alexandrie dotée d'une grande beauté qui était à la fois mathématicienne, astronome et philosophe, matières qu'elle enseignait. La ville égyptienne, héritée de l'empire d'Alexandre le Grand, était, au temps d'Hypatie sous domination romaine. Enfin, jusqu'à ce que cette nouvelle religion, le christiannisme, commence à ruer dans les brancards. Oreste était le préfet romain de la cité et Hypatie, sa conseillère non-officielle. Il y a une sorte de souque-à-la-corde entre le préfet Oreste et Cyrille, le patriarche Chrétien pour le contrôle de la ville. En plus, le torchon brûle entre extrémistes Chrétiens et Juifs. 


Cyrille, oubliant probablement la persécution dont les adeptes de sa religion furent eux-mêmes victimes, s'engage, tel un bulldozer d'intolérance, à écraser tout ce qui est païen. Hypatie est professeur de maths, d'astronomie et de philosophie néo-platonicienne. Peut-être plus odieux: elle est une femme. C'était l'époque où la gente féminine était une commodité alors imaginez combien les chrétiens fanatiques considèrent qu'elle l'avait cherché. Et ils la trouvent, assurément. Ils l'arrachent à son char et la traînent de force dans le Césarium où elle est déshabillée, tuée à coups de tessons et dépecée. Vous avez bien lu: les tenants de Jesus-Christ, dont le message était de s'aimer les uns les autres, ont taillé Hypatie en morceaux, littéralement. Ils les ont paradé dans la ville pour ensuite y mettre le feu.

Son assassinat sauvage aurait ensuite été suivi, peu de temps après, par un saccage en bonne et due forme de la grande bibliothèque d'Alexandrie, faisant perdre une quantité phénoménale d'ouvrages inestimables et dont la perte aurait contribué à plonger le monde entier dans l'Âge des Ténèbres. Comme le dit Sagan, l'humanité venait de s'infliger à elle-même une lobotomie en bonne et due forme.

Le livre de Kingsley relate donc la vie de cette femme, de l'enseignement qu'elle dispensait et de sa mort, brutale, si l'on peut employer un mot la définissant. Bien qu'intéressant, et fascinant si l'on considère que l'auteur me parle bien longtemps après sa mort, le récit m'a laissé sur ma faim, et j'en recommanderais la lecture pour son contenu romancé et non pour sa valeur encyclopédique. Alejandro Amenábar en a aussi fait un film en 2009, Agora, avec la sémillante Rachel Weisz, brillante dans le rôle d'Hypatie mais tout comme le livre de Kingsley, le péplum Amenábar est romancé et erre à certains niveaux. Il s'en trouvent pour trouver que le film est davantage une pièce pro-athéiste, prétextant le manque de sources historiques mais il faut tout de même avouer que l'Église et la science n'ont presque jamais fait bon ménage. L'Inquisition, ou Inquisitio Haereticae Pravitatis, remonte tout de même au 12è siècle. Et si Copernic et Galilée étaient là, pourraient vous en conter un bout sur le sujet aussi.

Voilà donc. L'article d'aujourd'hui vous est gracieusement offert par une entorse lombaire ainsi qu'une petite dame qui m'a vendu un livre pas cher.





Le saviez-vous? À son apogée, la bibliothèque contenait plus de 30,000 œuvres réparties entre près de 700.000 rouleaux. Plus de 42,800 d'entre eux, ne pouvant être mis dans la bibliothèque, ont été entreposés dans un autre bâtiment: le Sérapéum.