mercredi 13 mars 2013

Repos, puces et mathématicienne grecque

Comme lorsque l'on est aux prises avec une grippe rien de mieux qu'une bonne entorse lombaire pour se calmer le pompon. La mobilité ainsi fortement réduite exige donc un passe-temps approprié, comme la lecture par exemple.

Ainsi, ces derniers jours, j'ai opté pour un bouquin déniché l'été passé dans un coin discret du marché aux puces où se trouve ce petit kiosque, tout à fait minuscule, tenu par une petite dame d'un certain âge qui s'y trouve encore aujourd'hui. Elle me rappelle cette autre dame, toute aussi menue, qui occupait le même endroit il y a quelques années à la différence que celle-ci ne vend pas des disques à pleines boîtes. Elle tient plutôt une sorte de mini capharnäum ou s'entassent des objets hétéroclites; des tasses, des verres, des boîtes de métal, petits pots à biscuits en céramique et plein d'autres objets qu'il me serait trop long d'énumérer ici. Il y a plus longtemps encore j'y avais trouvé, bien caché, un petit livre de Victor Hugo avec une couverture en cuir. Édité à Paris en 1903 et dans une condition tout à fait remarquable, la petite dame ne m'en avait demandé que cinquante sous. Depuis ce temps je prend toujours le temps de bien regarder ce qu'elle a à offrir. Sait-on jamais, que je me dis toujours. 

Et c'est précisément ce que j'ai fais cette journée-là alors que je venais de terminer ma tournée. Mes yeux se promenaient, passant rapidement d'un objet à l'autre et je l'ai apperçu, là, coinçé entre une boîte d'arachides Planters en métal et un porte-brosse à dents Scooby Doo. D'aspect vieillot, le vieux bouquin a attiré mon regard. 


Pour avoir oeuvré, dans une autre vie, en imprimerie je savais que ce bouquin devait avoir près d'une centaine d'années. Au moins. Je l'ai pris avec toute cette précaution que l'on doit avoir avec les vieux livres de ce genre, puis je l'ai ouvert, curieux du sujet. Il s'agissait d'un livre en anglais, écrit par un certain Charles Kingsley et portant sur la vie d'Hypatie d'Alexandrie. Le livre a été écrit en 1852 mais la copie entre mes mains a été éditée en 1890.

Il arrive trop souvent, malheureusement, que de vieux volumes, aussi intéressant puisse t-ils être, sont endommagés par l'humidité, signe qu'ils n'ont pas été conservés dans des conditions adéquates mais celui-ci, malgré son âge, se trouvait dans une condition très respectable. Il sentait le vieux, assurément, mais pas cette odeur de mouillure désagréable. La reliure en bonne condition et les pages encore solidement en place. Pas d'annotations ici et là, comme ça arrive parfois. J'ai risqué un oeil vers la dame qui était assise sur sa petite chaise à l'entrée de son minuscule kiosque. Avant même que je puisse lui demander combien elle voulait pour le livre elle m'a regardé et m'a fait signe «un» de l'index tout en formant silencieusement le mot avec sa bouche. Du coup j'ai cru qu'elle voulait me dire: un instant. Non, elle ne voulait vraiment qu'un seul et misérable dollar. Même pas le prix d'un café. Même un café tout à fait médiocre. Il m'aurait été bien difficile de refuser une telle offre même si j'avais cette nette impression que je lui volais carrément le livre. Elle me l'a ensuite soigneusement emballé dans un papier de soie pour ensuite me le remettre.

Le nom d'Hypatie m'était familier. Je l'ai connu pour la première fois dans un autre livre: Cosmos, de Carl Sagan. Dans un chapître intitulé Qui plaide pour la Terre (page 427). Sagan y décrit Hypatie comme étant une femme d'Alexandrie dotée d'une grande beauté qui était à la fois mathématicienne, astronome et philosophe, matières qu'elle enseignait. La ville égyptienne, héritée de l'empire d'Alexandre le Grand, était, au temps d'Hypatie sous domination romaine. Enfin, jusqu'à ce que cette nouvelle religion, le christiannisme, commence à ruer dans les brancards. Oreste était le préfet romain de la cité et Hypatie, sa conseillère non-officielle. Il y a une sorte de souque-à-la-corde entre le préfet Oreste et Cyrille, le patriarche Chrétien pour le contrôle de la ville. En plus, le torchon brûle entre extrémistes Chrétiens et Juifs. 


Cyrille, oubliant probablement la persécution dont les adeptes de sa religion furent eux-mêmes victimes, s'engage, tel un bulldozer d'intolérance, à écraser tout ce qui est païen. Hypatie est professeur de maths, d'astronomie et de philosophie néo-platonicienne. Peut-être plus odieux: elle est une femme. C'était l'époque où la gente féminine était une commodité alors imaginez combien les chrétiens fanatiques considèrent qu'elle l'avait cherché. Et ils la trouvent, assurément. Ils l'arrachent à son char et la traînent de force dans le Césarium où elle est déshabillée, tuée à coups de tessons et dépecée. Vous avez bien lu: les tenants de Jesus-Christ, dont le message était de s'aimer les uns les autres, ont taillé Hypatie en morceaux, littéralement. Ils les ont paradé dans la ville pour ensuite y mettre le feu.

Son assassinat sauvage aurait ensuite été suivi, peu de temps après, par un saccage en bonne et due forme de la grande bibliothèque d'Alexandrie, faisant perdre une quantité phénoménale d'ouvrages inestimables et dont la perte aurait contribué à plonger le monde entier dans l'Âge des Ténèbres. Comme le dit Sagan, l'humanité venait de s'infliger à elle-même une lobotomie en bonne et due forme.

Le livre de Kingsley relate donc la vie de cette femme, de l'enseignement qu'elle dispensait et de sa mort, brutale, si l'on peut employer un mot la définissant. Bien qu'intéressant, et fascinant si l'on considère que l'auteur me parle bien longtemps après sa mort, le récit m'a laissé sur ma faim, et j'en recommanderais la lecture pour son contenu romancé et non pour sa valeur encyclopédique. Alejandro Amenábar en a aussi fait un film en 2009, Agora, avec la sémillante Rachel Weisz, brillante dans le rôle d'Hypatie mais tout comme le livre de Kingsley, le péplum Amenábar est romancé et erre à certains niveaux. Il s'en trouvent pour trouver que le film est davantage une pièce pro-athéiste, prétextant le manque de sources historiques mais il faut tout de même avouer que l'Église et la science n'ont presque jamais fait bon ménage. L'Inquisition, ou Inquisitio Haereticae Pravitatis, remonte tout de même au 12è siècle. Et si Copernic et Galilée étaient là, pourraient vous en conter un bout sur le sujet aussi.

Voilà donc. L'article d'aujourd'hui vous est gracieusement offert par une entorse lombaire ainsi qu'une petite dame qui m'a vendu un livre pas cher.





Le saviez-vous? À son apogée, la bibliothèque contenait plus de 30,000 œuvres réparties entre près de 700.000 rouleaux. Plus de 42,800 d'entre eux, ne pouvant être mis dans la bibliothèque, ont été entreposés dans un autre bâtiment: le Sérapéum.

    

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