samedi 3 août 2013

1975


Juin 1975. À l’angle des rues Elmire et de Bullion le photographe de La Presse Yves Beauchamp a croqué une de ces scènes typiques de l’époque avec tout le talent qu’on lui connaît. À l’époque je n’habitais pas le Plateau mais plutôt Hochelaga-Maisonneuve, par contre cette scène aurait très bien pu s’y dérouler puisque l’environnement était assez similaire mis à part peut-être que dans mon vieux quartier on retrouvait davantage de maisons à trois étages mais pour le reste, tout est là.

Tiens, il y a ces gamins sur le coin de la rue dont l’un enfourche son Mustang avec siège banane, pas de vitesse et freinage en donnant un coup de pédale par en-arrière. Presque chaque enfant et son chien en avait un sauf moi où mon bolide était un motocross Stelber qui faisait l’envie de tous mes amis. Faut noter l’absence de casque de protection. Ça n’existait même pas. Les genoux et les coudes barbouillés de mercurochrome par contre étaient en vogue. C’était presqu’un rite de passage. Un badge.

Au balcon de la maison sur Elmire y’a deux gars qui se la coulent douce. On pourrait presqu’entendre jouer de la musique provenant de leur appartement. Ça pourrait être High Voltage d’AC/DC, Face The Music d’ELO, Wish You Were Here de Pink Floyd ou peut-être l’album Pommes de route de Plume. De quoi ces deux amis jasent-ils? Peut-être du salaire minimum qui vient tout juste de passer à $2,60 l’heure ou encore de la fameuse commission Cliche?

Parmi les autres choses que l’on peut entendre y’a les rires de ces gens installés confortablement sur le trottoir étant donné qu’il n’y a pas de terrain avant. Un de enfants sera sûrement chargé d’aller faire une «commission» chez Variétés Claude pour aller chercher une pinte de lait La Ferme St-Laurent, Sealtest ou J.J. Joubert, un Montréal-Matin, un billet de Super et peut-être quelques Mini à cinquante sous. Et ne pas oublier un paquet de cigarettes. On ne cartait pas dans le temps et n’importe quel enfant pouvait acheter tout ça. Avec 25 sous de pourboire il ne suffisait que d’une autre commission du genre pour pouvoir acheter le Pif Gadget qui allait sortir le samedi suivant. Ou peut-être le Journal de Tintin.

On peut aussi entendre le bruit des ballons qui rebondissent pas terre, des «bécyks» dont les enfants ont attaché un vieux paquet de cigarettes ou une carte à jouer avec une épingle à linge et qui frotte sur les rayons de la roue arrière, créant ainsi un bruit imitant le moteur d’une moto. Certains y mettaient plutôt des balounnes mais elles finissaient par éclater à cause de l’échauffement.

À travers tout ça il y a les «gros chars» si particuliers de ce temps-là. Sur Elmire on voit un vieux Pontiac Parisienne de la fin des années 60. Pas loin y’a un Mercury Comet. Je pense deviner un Chrysler Newport, un Buick et un Impala. Et à l’avant-plan y’a cette Coccinelle dont le bruit du moteur refroidi à air était très reconnaissable. C’était le temps où elles étaient encore faites à Wolfsburg en Allemagne.

Juin 1975 c’est aussi le moment où l’on a quitté Hochelaga-Maisonneuve pour migrer vers Rosemont, un peu au nord du boulevard du même nom et qui avait commencé à se développer depuis peu. Je laissais derrière le vieux quartier que j’avais toujours connu et qui m’avait vu grandir, ma bonne vieille cour arrière, les épiceries du coin où j’allais si souvent mais aussi mes bons vieux amis. Un chapitre se fermait et un autre s’ouvrait.

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