samedi 16 août 2014

Une rue bien paisible


Je vous parlais dans l'article précédent de pans entiers de la ville de Montréal qui ont complètement changé au point où l’on ne peut plus les reconnaître. Ou à peine. C’est le cas de la scène que je vous propose aujourd’hui. Vous replacez l’endroit? Sur l’interweb on parle de la rue Ste-Catherine et à d’autres endroits on mentionne St-Antoine et même University. Proche, mais pas de cigare. 

D’abord, et comme c’est mon habitude, je vous replace dans le temps; la plupart des légendes entourant la datation de cette photo mentionnent simplement «au tournant du 20è siècle, sans plus de précision, alors pour les besoins de la cause, disons 1900. Et comme on peut le voir, c’est aussi l’été. 

Alors, où est-ce que l’on se trouve? Tout simplement sur la rue Bleury, entre les rues Ste-Catherine et Dorchester. On regarde ici vers le sud et le Gésu, quelque peu visible à droite, est le seul bâtiment de tout le lot à avoir survécu. C’était bien entendu avant que l’église ne subisse des modifications architecturales qui ont ajouté les deux tours en oblique de part et d’autre de l’entrée principale. 

1900 c’est encore l’époque des faubourgs et ici nous sommes dans celui de St-Laurent. Ses voisins immédiats sont, celui de St-Georges à l’ouest et de St-Louis à l’est. La rue comme les trottoirs, sont d’une propreté exemplaire. Ce n’est pas seulement dû aux employés de la ville mais aussi aux citoyens eux-mêmes. 

C’est aussi une période où il n’y a pas encore d’automobiles à Montréal. Pour se déplacer on utilise nos papattes, une charrette ou encore le tramway. Ce dernier est alors géré depuis 1886 par la Montreal Street Railway et qui a entrepris d’électrifier son réseau depuis 1892. Parlant d’électricité il y a une compagnie montréalaise, la Royal Electric Company, dont le système d’éclairage électrique s’implante de plus en plus, notamment en ce qui concerne l’éclairage des rues. Les réverbères au gaz donnent bien des maux de tête; saleté, odeurs désagréables, problèmes d’allumage… Bref. D’ailleurs au printemps de 1900 la ville de St-Louis du Mile-End  a passé un contrat avec la Royal Electric Company concernant l’achat de 12 lampadaires électriques au coût de $112 chacun. Le contrat est également rédigé de façon à permettre d’en ajouter d’autres au besoin. La Royal Electric Company a d’ailleurs le vent dans les voiles puisqu’elle opère plus de 70 stations électriques entre les villes de Victoria et Charlottetown. Ses adversaires sont nuls autres que Canadian General Electric et Canadian Westinghouse.  

La scène qui s’offre à nous nous permet, comme je le disais au début, d’admirer un Montréal qui n’est plus. Même si nous sommes à un jet de pierre du secteur surnommé Paper Hill, en raison des nombreuses imprimeries qui s'y trouvent, il règne un calme que le centre-ville n’a plus depuis bien longtemps. L’essentiel du bruit que l’on peut entendre est celui qui provient du tramway, puis de celui des chevaux dont les fers cognent sur le pavé. L’air est bon car les sources de pollution, comme les navires et les trains, sont loin.

Le Gésu est immédiatement suivi au sud par le collège Ste-Marie dont le recteur en 1900 est le révérend Turgeon. On peut s’étonner de ce prédicat, que l’on associe de nos jours à la religion protestante mais dans le temps il était utilisé aussi par la religion catholique. Au collège on publie aussi une revue, le Messager Canadien du Sacré-Cœur de Jésus. 

Tout juste en face on peut voir une magnifique enfilée de belles maisons ouvrières doublées, au rez-de-chaussée, de différents commerces. La grande majorité est en brique commune mais quelques-unes sont en pierre de taille. Elles partagent aussi certains éléments architecturaux comme les toits en fausse mansarde, lucarnes et fenêtres avec de belles persiennes. Au niveau de la rue on peut voir de ces belles façades ornementales qui décorent les différentes entrées de commerces. Les propriétaires de ceux-ci ont d’ailleurs eu la très aimable idée de pourvoir leurs devantures d’auvents qui procurent aux passants de l’ombrage très apprécié par jours ensoleillés. On y trouve de tout!

Ainsi, si jamais vous ne vous sentez pas bien vous pouvez passer dans les cabinets des médecins Mignault, Meagher, Merrill, Johnston et de Lotbinière. Ceux-ci ont chacun leurs adresses respectives quoiqu'on les voit pas tous sur la photo. Pour un bel habit sur mesure passez donc plus bas au 145, à la boutique du tailleur G. P. Nelson. Vous possédez un cheval? Il a besoin de nouveaux fers aux quatre pattes? Le maréchal-ferrant Narcisse Nicol, au 143, peut s’en occuper. Ne vous en faites pas si votre cheval a un caractère de chien, Narcisse a l’habitude et sait se faire respecter des chevaux. Besoin de mettre vos livres à jour? Pourquoi ne pas faire un détour au 141 chez le comptable Olivier Lefebvre? Pour les dames qui ont besoin d’ajustements à leurs accoutrements la couturière madame Phaneuf va vous arranger ça. Et pour les problèmes de peau vous pouvez toujours prendre rendez-vous avec le docteur Brodeur qui dirige l’Institut Dermatologique dont la clinique est au 139, près de la rue Dorchester. Si, parce qu’en 1900 il s’agit encore d’une rue. Paisible même, de surcroit. Beaucoup plus au sud, à la frange du Vieux-Montréal, se trouve le centre des affaires mais celui du commerce a tranquillement commencé à migrer vers la rue Ste-Catherine. La décision d’Henry Morgan d’installer son nouveau grand magasin face au square Philips en 1893 a d’abord été considéré comme une folie mais force est d’admettre que le bonhomme avait de la suite dans les idées. Il se trouve maintenant de plus en plus de commerces qui suivent son exemple. Si ça continue comme ça y’a fort à parier que la rue Ste-Catherine deviendra une artère commerciale importante dans le futur. On verra. 

Durant l’été de 1900 on parle de plusieurs choses dont l’incendie à Pointe-Claire qui a détruit non seulement l’Hôtel de ville mais aussi le bureau de poste ainsi qu’une trentaine de maisons, jetant ainsi plus de 200 personnes à la rue. À Magog il y a un conflit de travail à la Canadian Cotton Mills qui oppose quelques 400 ouvriers-tisserands à la direction et une grève est déclenchée. La compagnie ne s’en laisse pas imposer et procède derechef à de nombreux congédiements. Canadian Cotton Mills fait partie des quatre filatures qui formeront, en 1905, la Dominion Textile. Autre sujet qui fait jaser, la Banque Jacques-Cartier qui se reforme sous le nom de Banque Provinciale du Canada, la future Banque Nationale. Et puisqu’il est question d’institution financière, Alphonse Desjardins élabore son projet de caisse d’épargne populaire qui devrait voir le jour sous peu. 

La modernisation de Montréal a littéralement changé ce paysage. Comme je le disais en début d’article, le Gésu est le seul bâtiment de tout ce que l’on voit à avoir survécu jusqu’à aujourd’hui. A aussi subsisté quelques parties de l’ancien collège Ste-Marie et il est possible d’y voir ici et là en descendant Bleury du côté ouest, des anciennes fenêtres et portes que l’on a condamnés. Tout le reste, à un moment ou un autre, est passé sous le pic des démolisseurs. À la place, on a construit des bâtiments ternes et sans âme que l’on ne regarde même pas deux fois. Voici de quoi a l’air la même scène aujourd’hui. 


Pour conclure ce petit article, je vous propose une petite brochette de publicités alors en vigueur à Montréal durant l’été de 1900. Il ne s'agit que d'un petit échantillonnage, bien entendu, mais il est amusant et ma foi presque rafraîchissant de voir la façon dont les produits et services étaient conçus et que les textes étaient formulés.








Saviez-vous ça vous autres? Regardez su'a photo originale en-haut pis vous allez voir une borne-fontaine. savez-vous qui c'est qui a inventé ça? Personne le sait réellement parce l’édifice oussé que les brevets étaient a passé au feu en 1836. Ça paraît pas là mais on essaye de pas rire. 

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