vendredi 28 novembre 2014

La rue Ste-Catherine en 1969

Tout de même étrange de considérer qu’il n’y a quand même pas si longtemps que ça la rue Ste-Catherine avait une toute autre allure. Évidemment c’est une observation qui est plus facile à réaliser pour ceux et celles qui ont connu ladite époque et qui était, faut l’avouer, bien différente. Certains vont même jusqu’à dire que l’artère d’autrefois et d’aujourd’hui sont pratiquement aux antipodes l’une de l’autre.

La photographie que l’on voit à l’entête de l’article, que l’on pouvait se procurer d’ailleurs en format carte postale un peu partout, nous montre un petit bout de ladite rue Ste-Catherine, du côté sud, tout près de l’intersection de la rue Mansfield. Il y a eu plusieurs spéculations sur la date où elle a été prise. Je vais donc vous épargner toute autre recherche : été 1969.

Comment?

Un détail tout simple. Vous allez voir.

En 1969 les magnifiques enseignes lumineuses que l’on peut voir, affichant une très belle diversité de styles et de couleurs, s’illuminaient le soir venu et rendaient les rues extraordinairement vivantes. Par contre elles n’en avaient plus pour longtemps puisque le maire Drapeau les détestait profondément. Au fil des années qui vont suivre elles vont toutes disparaître les unes après les autres, tant sur Ste-Catherine que sur d’autres rues, comme St-Denis et St-Hubert, entre autres. Allez, crac!


En attendant, voyons un peu ce qu’il y a sur cette photo. En partant de la gauche, donc de l’Est, et à la limite de ce que l’on peut distinguer, on peut voir clairement l’enseigne du cinéma Capitol où l’on présente le western Heaven With a Gun. Tout juste à côté il y a le restaurant Dunn’s Famous. Il comporte alors deux étages et au deuxième, avec un peu de chance, on peut déguster un sandwich à la viande fumée au son d’un pianiste qui joue sur un magnifique piano à queue. Essayez de trouver ça aujourd’hui pour voir. S’ensuit le Cinéma de Paris, malheureusement peu visible, et qui présente le film J’ai tué Raspoutine.


Puis c’est le bijoutier Opera Diamond après quoi c’est un autre restaurant, le Lanza Steak House. Il est suivi de Brault Watch Shop où l’on peut se procurer toute une variété de belles montres. C’est encore la période où des commerçants canadiens-français ont des commerces en anglais. Ah, voici ensuite le cinéma Pigalle où l’on projette ces deux «excellents» films qui, ultérieurement ont probablement reçu la plus haute cote dans le TV Hebdo; un 7 :


Peut-être cela en étonne-t-il plusieurs de voir qu’à cette époque, surtout celle de l’ère Drapeau, des films érotiques étaient présentés dans des cinémas ayant pignon sur une rue comme Ste-Catherine. Mais qu’on se le dise bien : 1969 était une période non seulement de révolution culturelle mais aussi sexuelle. C’est d’ailleurs c’est en mai de cette année-là que Denis Héroux a tourné le premier film érotique au Québec, Valérie, avec la sémillante Danielle Ouimet. Nous sommes loin de l’époque pourtant pas si lointaine où Alfred Hitchcock avait tourné I Confess à Québec sous la loupe constante de l’omniprésent clergé qui se réservait le droit divin d’autoriser ou non ce qui était filmé. Plus jamais je ne tournerai de film au Québec, avait-il dit, parfaitement dégoûté de cette censure cléricale. En ’69 par contre le pouvoir de l’Église s’amenuise comme peau de chagrin et déjà les églises se vident.

Passé la rue Mansfield se trouve une succursale de la Banque de Montréal avec sa belle façade en grès rouge d’Écosse mais qu’on voit très peu puisque le bâtiment est caché par le cinéma Loews où le film The Extraordinary Seaman avec David Niven est projeté. C’est le titre de ce film, visible sur la marquise qui m’a aiguillé sur la date de prise de la photo puisque le film n’a été projeté qu’au début du mois d’août. C’était le temps où les cinémas changeaient de films presqu’à toutes les semaines. En 1969 le Loews, dont l’intérieur a été magnifiquement décoré par Emmanuel Briffa, ne comporte toujours qu’une seule salle. L’ajout de salles supplémentaires se fera au cours des années à venir. Tout juste à côté du Loews on retrouve la célèbre mercerie A. Gold & Sons où ces messieurs peuvent se procurer habits et vêtements à la mode. Le restaurant Murray’s se trouve tout juste à côté et pour ceux qui n’ont peut-être pas si faim, le café Honey Dew vous accueille. Pour ces dames qui désirent une nouvelle coiffure alors c’est au salon de beauté Séville qu’elles doivent aller. Et ensuite, pourquoi pas un arrêt au lounge cocktail Vénus de Milo situé au deuxième étage? Et finalement, il y a le restaurant Ville-Marie qui en plus d’offrir un menu varié peut vous servir bières et vins. Voici le même secteur tel que vu aujourd'hui:


Comme on peut le voir, le changement est drastique. Plus aucun des commerces de l’époque n’a survécu sauf Dunn’s Famous mais il n’occupe plus son emplacement original. Quelques bâtiments l’on prit dans la tronche aussi, comme le Pigalle, gracieuseté des démolitions sauvages des années 70. Le Cinéma de Paris, tout comme le Loews dont l’entrée est aujourd’hui occupée par une boutique de souliers de sport. L’ancienne salle de projection est aujourd’hui un vaste club sportif, Le Mansfield, mais on pourra applaudir les promoteurs d’avoir conservé les fresques de Briffa. Certaines anciennes façades ont été également préservées mais de façon inégale, offrant ainsi une trame architecturale décousue qui n’a plus d’unité.

Et qu’est-ce qui retient l’attention durant cet été de 1969? Évidemment le passage en mai à l’hôtel Reine-Élizabeth de John Lennon et Yoko Ono pour leur bed-in pour la paix n’a pas manqué de faire jaser. La rue Ste-Catherine a aussi vu défiler, en mai, les joueurs du Canadien qui ont remporté la coupe Stanley face aux Blues de St-Louis qu’ils ont parfaitement tondu en quatre parties gagnées d’affilée. 


Le hockey est peut-être terminé mais les amateurs de sports montréalais se découvrent une passion pour leur nouvelle équipe de baseball : les Expos, lesquels disputent leurs parties au parc Jarry. Les nouveaux héros se nomment alors Mack Jones, Rusty Staub, Coco Laboy, Bill Stoneman ainsi qu’un québécois, Claude Raymond. 


Sur la scène politique il y a un congrès au leadership à l’Union Nationale et Jean-Jacques Bertrand, qui succédait à Daniel Johnson, est élu chef du parti. Bertrand a soutiré 58% des votes mais tout n’est pas rose puisque plusieurs membres du parti, d’allégeance nationaliste, quittent ou songent à quitter le parti. Au sud de la rue Ste-Catherine, sur le fleuve, y’a embouteillage de navires puisque les employés de la Voie maritime sont en grève. On espère un dénouement rapide. Dans les journaux on apprend que le pays est maintenant assujetti à la loi sur les langues officielles. On s’attend à ce que ladite loi entre officiellement en vigueur au début de septembre.

À la radio les succès québécois s’enfilent les uns après les autres. Éloïse de Donald Lautrec, Comme un garçon de Chantal Renaud, Le sable et la mer du duo Ginette Reno et Jacques Boulanger. On se souvient aussi du fameux Lindberg de Robert Charlebois et Louise Forestier. Renée Claude y va avec C’est notre fête aujourd’hui et Le tour de la terre, entre autres. Et que dire de ce classique des Milady’s qui a tourné presque sans arrêt :



Du côté de la chanson française, toujours très populaire ici, on peut entendre Vesoul de Jacques Brel, C’est extra de Léo Ferré, Le Métèque de Georges Moustaki, Ma France de Jean Ferrat, Que je t’aime de Johnny Halliday, Les Champs-Élysées de Joe Dassin, Petit Bonheur d’Adamo et également Je t’aime… moi non plus du couple formé par Jane Birkin et Serge Gainsbourg.

En langue anglaise on apprécie Get Back des Beatles, Honky Tonk Woman des Rolling Stones, Sugar, Sugar des Archies, Suspicious Minds d’Elvis Presley mais ce qui détonne plus que tout en musique durant l’été de 1969 est sans contredit le légendaire festival de Woodstock lequel se déroule sur le terrain d’une ferme laitière dans l’état de New York. Pendant trois jours ce sont près de 400,000 personnes qui vont s’y rendre pour assister, presque sans relâche, à des spectacles mettant en vedette Janis Joplin, Jimi Hendrix, les Rolling Stones, Creedence Clearwater Revival, The Grateful Dead et de nombreux autres. 


Par contre, au-delà l’aura «Peace & Love» et du «tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil», Woodstock est en réalité un gros «cash grab» capitaliste de la part des organisateurs mais également de la plupart des artistes. D’ailleurs Joplin, The Grateful Dead, The Who et Hendrix (surtout lui) ont carrément refusé de se présenter et même de toucher à leurs instruments avant que l’argent ne soit bien étalé sur la table.

L’été de 1969 est aussi tristement marqué par l’assassinat de Sharon Tate, alors enceinte de huit mois, ainsi que quatre autres personnes par Charles Manson et sa «famille». Il sera subséquemment arrêté et condamné à mort mais la peine sera substituée pour une incarcération à vie. Au moment d'écrire ces lignes Manson est toujours vivant et vient de se marier.



Toujours au début du mois d’août Disneyland procède à l’ouverture officielle du Haunted Mansion en Californie alors qu’au même moment les Beatles se font photographier à traverser Abbey Road (à plusieurs reprises) pour la pochette de leur album. Mais l’évènement majeur pour 1969 demeure sans contredit le plus grand exploit scientifique du siècle :

 

 

 

Le 20 juillet, le module lunaire Eagle de la mission Apollo 11 se pose sur la surface lunaire, dans la Mer de la Tranquillité. À 22 :56 heure de l’est, plus d’un demi-milliard de personnes regardent en direct à la télévision les premiers pas de l’astronaute Neil Armstrong sur la Lune, suivi peu de temps après par Buzz Aldrin alors que Michael Collins orbite patiemment autour. Ils reviennent le 24 juillet sains et saufs, la mission est couronnée de succès et ouvre la voie à d’autres missions lunaires.

Quelques pubs de l'été 1969:




Le saviez-vous? C’est à l’automne 1969 qu’est apparu pour la première fois dans les rues le Dodge Challenger. Cette voiture sport se voulait l’équivalente chez Dodge du Plymouth Barracuda, lequel avait été conçu en guise de réponse à la Ford Mustang et à la Chevrolet Camaro. Le Dodge Challenger connaît depuis quelques années un regain de popularité avec la troisième génération qui se veut, esthétiquement, un beau clin d’œil à l’original.

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